HomeMédiasPOLITIQUE DU MÉDICAMENT «Le producteur national doit conserver ses prix inchangés»

POLITIQUE DU MÉDICAMENT «Le producteur national doit conserver ses prix inchangés»

Jusqu’à fin 2014, les fabricants algériens de médicaments étaient dans une phase ascendante. En effet, depuis qu’en 2008 les autorités économiques avaient décidé d’instaurer des mesures de protection sérieuses en suspendant l’importation de

tout médicament fabriqué localement, leur filière n’avait cessé d’enregistrer des taux de croissance élevés, une moyenne de 17% annuellement. Elle a gagné des parts de marché significatives face aux importations, passant en quelques années d’une couverture de 12% à 43% des besoins nationaux. Et surtout elle a ouvert des perspectives d’emplois hautement qualifiés et bien rémunérés à des milliers de jeunes diplômés des universités algériennes. Une performance tout à fait remarquable au sein d’une industrie algérienne largement débordée par l’invasion du tout import.
Mais, depuis une année maintenant, la machine commence sérieusement à se gripper. La crise économique qui touche le pays les frappe aussi de plein fouet, mais surtout elle les laisse totalement démunis face à une administration qui a tout pouvoir pour décider des prix de vente de leurs produits et qui, réglementairement, les fige sur une période de cinq années. Un système de prix viable tant que l’inflation des coûts de fabrication demeurait faible, mais tout cela vole en éclats dès lors que les coûts de fabrication augmentent à vive allure. Sur les cinq dernières années, force est de noter que l’indice des prix de l’Office national des statistiques (ONS) enregistre une augmentation de plus de 64%, que le salaire moyen dans l’industrie a quasiment doublé et que le taux de change du dinar a connu une décote de 42% par rapport au dollar US ou à l’euro. Plus grave, le fragile équilibre de ce système des prix avait été bâti sur l’exonération des taxes appliquée aux intrants pharmaceutiques, mais le ministère des Finances, soucieux de récupérer des ressources pour le budget public, vient de tout remettre en question avec la loi des finances complémentaire pour 2015 et le projet de loi des finances pour 2016.
C’est dire si le moral des fabricants pharmaceutiques est en train de prendre l’eau. Leurs coûts de fabrication augmentent à vive allure, mais eux, à la différence des producteurs de tous les autres secteurs d’activité, n’ont aucun moyen d’ajuster leurs prix de vente. Les responsables du ministère de la Santé qui animent un Comité des prix regroupant de nombreux départements ministériels s’abritent derrière la collégialité trompeuse des décisions pour afficher leur insensibilité face à des doléances qu’ils savent pourtant parfaitement justifiées. Bizarrement, ils se sont lancés dans une surenchère inverse, poussant le bouchon jusqu’à exiger des producteurs des baisses de prix allant jusqu’à 50% dans certains cas.
Et, pour corser l’addition, chacun sait que toutes ces contraintes qui pèsent sur le fabricant national ne s’appliquent pas aux fabricants étrangers qui, eux, négocient directement les prix de leurs produits. Pour ceux-là, les prix étant formulés en devises à l’entrée du territoire douanier national, ils ne sont absolument pas touchés par les fluctuations du taux de change de la monnaie nationale, et bénéficient donc implicitement d’une garantie de change très précieuse dans la situation de crise actuelle. A quoi il faut ajouter le cas de cette «fiche de prix» qui est exigée des seuls fabricants nationaux, sachant que l’administration est dans l’incapacité de la demander aux fournisseurs étrangers. Ou comme cette persistance à vouloir réglementer la «marge de production» de produits fabriqués localement dont elle fixe elle-même le prix final !
Mais le comble, pour ces mêmes fabricants nationaux, c’est ce système absurde qui fait que, pendant qu’une direction au sein du ministère de la santé (la direction de la Pharmacie) exige des producteurs de revoir à la baisse leurs prix de vente, une autre direction, le Laboratoire national de contrôle des produits pharmaceutiques (LNCPP) leur impose des coûts supplémentaires en leur enjoignant de renforcer chaque jour les normes de qualité des médicaments qu’ils mettent sur le marché.
Et que dire alors de cette organisation d’ensemble où les deux administrations concernées par la gestion du prix du médicament ne se soucient nullement de coordonner leur action : voilà près de dix années que les producteurs réclament que le ministère de la Santé, qui fixe le prix du médicament à l’enregistrement, et celui en charge des affaires sociales qui, lui, en fixe encore une fois le prix ainsi que les conditions de remboursement par les caisses de Sécurité sociale, «coordonnent» leurs violons pour faire en sorte que leurs deux décisions soient simultanées. Rien de cela ne vient et, en gros, chaque producteur qui lance un produit nouveau hors-nomenclature est contraint d’en fabriquer trois lots industriels, de prendre rendez-vous pour déposer son dossier d’enregistrement, puis d’attendre que nos deux administrations rendent leur verdict.
Pour la partie ministère de la Santé, avec les délais de dépôt des dossiers, ceux de leur étude, les avis des experts cliniciens, il faut attendre une moyenne de quinze mois. Le nombre de dossiers pouvant être déposés est très curieusement limité à deux tous les quinze jours. L’avis des experts cliniciens est un obstacle très difficile à franchir : ceux-ci, qui sont restés inactifs des années durant, ont repris leurs travaux, mais de manière laborieuse et souvent sans grands moyens et leurs décisions traînent souvent en longueur pour des raisons diverses. On passe ensuite au guichet Sécurité sociale pour la décision concernant les conditions de remboursement du nouveau produit. Il faut ensuite attendre que cette décision de remboursement soit validée par un arrêté, autrement dit une moyenne de huit à dix-huit mois supplémentaires. Et quand, en bout de course, l’arrêté est publié, le fabricant doit procéder, à ses frais, à l’incinération des trois lots industriels de produits fabriqués, ces derniers ayant en général déjà atteint leur délai de péremption. Si l’objectif des autorités était celui de fermer la porte à la diversification de la production nationale et à l’innovation pharmaceutique, sans doute qu’elles ne s’y prendraient pas autrement. C’est à croire que la production nationale de médicaments est frappée de malédiction.
Au-delà des rigueurs de ce parcours bureaucratique, ce sont quelques centaines de millions de dinars de pertes financières qui, pour les fabricants algériens, sont occasionnées chaque année par une mécanique infernale dont tout le monde reconnaît la nocivité mais que personne n’arrive à réformer. La prise en compte des contraintes du producteur est totalement absente : c’est ainsi que, pendant tout le temps que durait la renégociation des prix avec les fournisseurs étrangers, soit exactement de novembre 2014 à mars 2015, les travaux du Comité des prix étaient inexplicablement gelés et aucune décision concernant les prix des produits fabriqués localement ne pouvait être rendue. A quoi il faut ajouter que, vis-à-vis des laboratoires étrangers qui se sont impliqués dans la fabrication locale, aucune discrimination positive n’est opérée par rapport à ceux qui ont toujours refusé de le faire ; en d’autres termes, ces derniers, qui sont ceux qui gagnent le plus sur le marché algérien, sont parfaitement confortés dans leur position négative.
En tout état de cause, le fabricant algérien se trouve aujourd’hui en face d’un mécanisme de fixation des prix lourdement contraignant : non seulement il est tenu de négocier ses coûts de fabrication, sa marge de production et le prix final de son produit, là où ses concurrents étrangers sont totalement libres, il doit aussi conserver ses prix inchangés même lorsque les conditions économiques sont totalement bouleversées. Il était beaucoup attendu du Comité des prix, un cadre interministériel nouveau dont on pouvait espérer qu’il serait plus réceptif aux doléances des producteurs. Espoir vain, dans la mesure où cette instance, qui ne s’appuie pas sur une analyse préalable de la filière pharmaceutique et dont les membres n’ont, dans leur grande majorité, aucune connaissance des réalités de cette industrie complexe, ne fait que reproduire les défauts d’un schéma de fonctionnement contestable.
En bout de course, notre administration devrait prendre conscience que si elle ne desserre pas cette étreinte qui étouffe les producteurs, c’est tout une filière industrielle qui va s’étioler, puis disparaître progressivement. Pour laisser encore une fois libre cours aux importations, comme dans un passé pas si lointain. Serait-ce là le but recherché ? Plusieurs investisseurs de la filière se posent la question. Les plus optimistes considèrent que la crise actuelle est une réelle opportunité que les autorités devraient saisir pour remettre une fois pour toutes de l’ordre dans la maison. En commençant par mettre de la cohérence dans l’action de tous les départements ministériels concernés par la politique du médicament : ceux de la Santé et des Affaires sociales au premier chef ; mais aussi celui de l’Energie, qui met des mois à délivrer les autorisations d’importation des réactifs et autres intrants pharmaceutiques ; celui du Commerce, qui est censé administrer les marges sur des produits dont il n’ignore pas que les prix finaux sont fixés ailleurs ; celui de l’Industrie, qui est en manque d’une véritable stratégie en matière de marques, de brevets et de propriété industrielle ; celui de la Formation professionnelle, qui devrait se pencher sur les réels besoins d’une industrie en devenir ; celui de l’Enseignement supérieur, qui devrait se préoccuper un peu plus de l’adaptation des savoirs qu’il dispense en liaison avec les besoins de notre industrie, etc.
Pour l’instant, chacun procède comme il l’entend et selon ses propres priorités, sans égard aux contraintes propres à la filière du médicament. Aussi, la crise actuelle est plus que jamais l’occasion de s’attaquer au fond du problème, à savoir : redéfinir les éléments de la politique de développement de cette filière stratégique, désigner un «chef d’orchestre» professionnel qui en soit le dépositaire et le responsable effectif de sa mise en œuvre ; enfin, remettre de l’ordre dans le cadre réglementaire du marché pharmaceutique national, en commençant par donner un coup de pied salutaire dans une bureaucratie d’un autre âge, totalement décalée des réalités économiques. Le système des prix du médicament, tel qu’il est configuré actuellement, confie une énorme responsabilité à l’administration sanitaire a travers un comité des prix fraîchement mis en place. Pour que notre industrie puisse perdurer et se développer, il convient que cette administration se modernise, qu’elle se mette réellement en état d’assumer ses responsabilités vis-à-vis des producteurs déjà installés, comme vis-à-vis des très nombreux investisseurs qui se préparent à entrer en production au cours des prochains mois et des toutes prochaines années. Pour l’instant, ce qui est clair, c’est que le maintien en l’état de cette spirale infernale à la baisse des prix mène tout droit au déclin d’une industrie prometteuse et à son corollaire, la perpétuation de la dépendance externe.
La vérité, toute simple, est qu’il ne saurait y avoir d’avenir et de pérennité pour une industrie pharmaceutique algérienne de qualité sans une rémunération confortable de ses coûts de production et sans des taux de profit substantiels et stimulants pour les investisseurs, nationaux ou étrangers qui prennent le pari de s’y engager.
Il y a, aujourd’hui, une industrie pharmaceutique nationale qui constitue un gisement de croissance immense qui ne demande qu’à être exploité et mis en valeur, avec à la clef des perspectives brillantes ouvertes à des milliers d’ingénieurs et techniciens nationaux hautement qualifiés, un apport majeur à la santé publique nationale et la possibilité de rayonner à une échelle très vaste, en Afrique et en Méditerranée.
Il est regrettable de le dire, mais ce n’est pas ce chemin qu’emprunte, pour l’instant, la mise en œuvre de la politique publique dans notre pays. Ce serait un énorme gâchis que de rater le rendez-vous, alors que tous les ingrédients du succès sont là, entre nos mains.
K. A.

Mot du Président

En raison de son caractère hautement sensible, le secteur du médicament a toujours fait l’objet d’une attention particulière des plus hautes autorités politiques et économiques du pays.

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Chiffres clés

Great Docs and SupportDans ce document vous trouverez des chiffres concernant le secteur du médicament en Algérie...

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